Après un premier acte vous présentant un petit florilège d’erreurs de traduction, voici aujourd’hui comment des fautes de traduction peuvent parfois tourner au cauchemar en politique.
∙Dans son ouvrage The Fall of Japan, William Craig rapporte qu’en juillet 1945, à l’issue de la conférence de Potsdam, les Alliés envoient un ultimatum au Premier ministre japonais, Kantaro Suzuki, exigeant la capitulation inconditionnelle du Japon. Voulant gagner du temps en obtenant une médiation russe, il répond que son gouvernement « s’abstient de tout commentaire pour le moment », utilisant le terme « mokusatsu », qui a plusieurs sens. Les journalistes japonais et les traducteurs relaient l’information en traduisant par « ne pas tenir compte », « ignorer avec mépris » (to ignore), ce qui faisait dire au Premier ministre qu’il rejetait catégoriquement l’ultimatum. Dix jours plus tard, les Américains larguaient leur bombe sur la ville japonaise.
∙Lors de la guerre froide, en 1956, le traducteur du dirigeant soviétique Nikita Kroutchev a utilisé « nous vous enterrerons » à l’attention des ambassadeurs occidentaux lors d’une réception à l’ambassade de Pologne à Moscou. Cette phrase a été reprise par tous les journaux de l’époque, refroidissant sacrément les relations diplomatiques entre l’Union Soviétique et l’Ouest. Alors que Kroutchev avait simplement dit : « Que cela vous plaise ou non, l’histoire est de notre côté. Nous allons vous enterrer » dans le sens que le communisme survivrait au capitalisme, qui se détruirait de l’intérieur, se référant à un passage du Manifeste communiste de Karl Marx qui affirmait que « ce que la bourgeoisie produit donc, avant tout, ce sont ses propres fossoyeurs ». Et plus tard, lors d’un discours prononcé en 1963 en Yougoslavie, il clarifiera sa déclaration en disant : « J’ai dit un jour : “Nous vous enterrerons”, et j’ai eu des problèmes avec cela. Bien sûr, nous ne vous enterrerons pas avec une pelle. Votre propre classe ouvrière vous enterrera ».
∙Jimmy Carter a lui aussi fait les frais d’une erreur de traduction. Lors d’un voyage en Pologne en 1977, il prononce un discours amical qui commence par ces mots : « Je suis parti des États-Unis ce matin », que le traducteur transforme en : « Je suis parti des États-Unis pour ne jamais y retourner ». Jusque-là rien de trop grave. Mais quand il déclare être « heureux d’avoir vu les lieux intimes de la Pologne », le traducteur indique qu’il est sexuellement attiré par les Polonais. Un autre traducteur est alors convoqué en urgence mais s’il connait bien le polonais il ne connait pas l’anglais et ne sait tout simplement pas comment traduire.
∙Voici comment les marchés financiers ont subi des mouvements inattendus en raison d’une simple erreur de traduction : en mars 2006, François Fillon évoque des « bonnes nouvelles dans la parité entre l’euro et le dollar ». Les Américains comprennent que le politicien français parle de « parity » entre les deux monnaies. Alors qu’en français, la parité renvoie au taux de change d’une devise par rapport à une autre, en anglais « parity » signifie égalité parfaite entre deux monnaies.
∙Une guerre prolongée d’un mois à cause d’une erreur de traduction : en 2008, la Russie et la Géorgie entrent en guerre, chacune revendiquant les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud. Malgré l’intervention du gouvernement Sarkozy pour obtenir un cessez-le-feu et la signature d’un accord, les Russes reprennent les tirs. Les autorités françaises finissent par comprendre qu’une erreur de traduction s’est glissée dans la version russe de l’accord : le « pour l’Ossétie » de la version française s’est transformé en « dans l’Ossétie » dans la version russe, autorisant les Russes à y laisser leurs chars alors qu’ils devaient se retirer sur leurs positions de départ.
∙En 2013, une députée portugaise prépare un rapport visant à faire de l’avortement un droit européen. Le mot « rejeitar » a été traduit par « appuyer » au lieu de « voter contre ».
∙En 2014, Gilles Bouleau de TF1 interviewe Hillary Clinton et cite ces mots de Vladimir Poutine, au sujet de la fameuse phrase du président russe sur l’ex Première dame, qui avait comparé l’armée russe aux nazis : « Nous avons rencontré Vladimir Poutine il y a quelques semaines, nous lui avons soumis cette question. Il a dit : “d’abord, on ne doit jamais discuter avec une femme…” ». Or Vladimir Poutine avait dit qu’on ne devait jamais se disputer avec une femme, et c’est le correspondant de France 2 de l’époque, Alban Mikoczy qui avait signalé l’erreur dans un tweet.
∙Et quand la même année à Sotchi, Jean-Pierre Elkabbach, Gilles Bouleau et Vladimir Poutine discutent de l’Ukraine et que le président russe rappelle les mensonges américains sur les armes de destruction massive irakiennes, Gilles Bouleau lui demande s’il va tout de même tenter de parler à Obama pendant le D‑Day, d’autant que, « la guerre n’est pas très loin. À quelques centaines de kilomètres d’ici ». Vladimir Poutine fronce les sourcils et lui rétorque : « Vous exagérez un peu en disant qu’une guerre approche. Vous êtes un peu agressif, comme journaliste. Pourquoi dites-vous que la guerre approche ? Pourquoi essayez-vous de faire peur à tout le monde ? » En réalité, Vladimir Poutine a compris que le journaliste pensait qu’une guerre s’approchait (dans le temps) alors que Gilles Bouleau exprimait une analyse géographique (dans l’espace). Et voici comme le ton peut monter vite à cause d’une simple erreur de traduction !
∙Lors de la visite de Richard Nixon en Chine en 1972, le Premier ministre chinois Zhou Enlai a déclaré qu’il était « trop tôt pour le dire », évoquant les effets de la Révolution française. On l’a alors félicité pour ses paroles sages, considérées comme reflétant la philosophie chinoise, alors qu’il faisait en fait référence aux événements de mai 1968 en France. Selon le diplomate américain à la retraite Charles W Freeman Jr – l’interprète de Nixon pendant le voyage historique — le commentaire mal interprété était « l’un de ces malentendus commodes qui ne sont jamais corrigés ». Il a déclaré que cela a renforcé le stéréotype sur les hommes d’État chinois comme des individus clairvoyants qui pensent plus longtemps que leurs homologues occidentaux.
Valérie Chèze, novembre 2020
Oui, je prends rendez-vous car je veux en savoir un peu plus
Une première rencontre en visioconférence pour faire connaissance
et évaluer vos besoins.
Le temps d’un clic et j’écris pour vous !