Nouvelle Une femme sous influence

Une femme sous influence

Voici une nouvelle écrite suite à un appel à concours du Foyer Rural de Seilhac en Corrèze. Elle a été retenue et publiée en podcast.

Le thème était “La date anniversaire” et la ville de Seilhac devait être évoquée.

Anne avait reçu une édu­ca­tion exem­plaire. Elle plaçait les notions de respect et de politesse au-dessus de tout. Quand vint le jour de ses quar­ante ans et qu’elle sor­tit de chez elle pour la toute dernière fois, elle prit soin de bien refer­mer la porte d’entrée. Son mari, qui lisait dans le salon, avait hor­reur des courants d’air.

Il fai­sait très froid cet hiv­er-là. La neige avait joli­ment recou­vert les Monédières, leur con­férant une sorte de man­teau blanc tout en courbes qui sem­blait veiller sur toute la Cor­rèze et sur la jolie ville du val­lon d’en face. Nous étions le 3 décem­bre et quand Anne se retrou­va dans la rue, l’air était glacial et le vent lui fou­et­ta le vis­age. Elle fris­son­na. Longeant le mur du château, elle se dirigea vers l’église. Quiconque l’aurait croisée ce jour-là aurait été sur­pris par son regard fixe et la blancheur de son teint. Elle entra dans l’église et se dirigea vers l’escalier qui menait au clocher. Elle grim­pa les march­es et quand elle parvint au som­met elle se dirigea vers l’endroit qu’elle avait repéré, là où des abat-sons man­quaient, for­mant comme une large ouver­ture. Elle regar­da une dernière fois la ver­dure des prés et la forêt au loin, puis elle se jeta dans le vide. Quand son corps atter­rit lour­de­ment sur l’asphalte, elle était déjà morte, ter­rassée par un arrêt du cœur à mi-parcours.

Elle sen­tit son âme s’envoler et eut un immense sen­ti­ment de sat­is­fac­tion. Elle était enfin libre. Son cal­vaire était ter­miné. Elle avait eu le courage finalement.

***

Elle était par­tie en ayant pris soin de tout bien ranger. Hen­ri ne sup­por­t­ait pas le désor­dre non plus. Elle avait fait le ménage de cette mai­son qu’elle ado­rait autre­fois. Une vieille mai­son héritée de sa grand-mère avec un jardin der­rière, ceint de hauts murs. Elle était son refuge, son repaire, son antre. Cette petite ville la ras­sur­ait alors, avec ses airs de vil­lage. Une place, des cafés, des com­merces, une église, un cimetière, des écoles et même un château. Comme tant d’autres bour­gades en France cer­taine­ment. Mais elle était d’ici. Elle s’était accrochée à cette terre qu’elle avait décidé de ne jamais quit­ter. Seil­hac. Ce nom c’était chez elle. Juste chez elle. Mais ça c’était bien avant. Tout avait telle­ment changé.

Au tout début de leur mariage Hen­ri était un mari qu’on aurait pu qual­i­fi­er de par­fait. Affectueux, atten­tion­né, aux petits soins. Ils tra­vail­laient tous les deux. Il enseignait la philoso­phie dans un lycée de Brive et elle était pro­fesseure des écoles dans un vil­lage voisin. Ils avaient emmé­nagé dans cette mai­son famil­iale qu’ils avaient joli­ment rénovée et les jours coulaient, doux et tran­quilles. Puis petit à petit, insi­dieuse­ment, le car­ac­tère d’Henri avait changé. Son vis­age s’était refer­mé et sa mine était sou­vent som­bre. Il lui menait la vie de plus en plus dure. Elle essuyait ses reproches et ses moqueries chaque jour. Et quand Hen­ri l’avait per­suadée que son salaire était bien suff­isant et qu’elle serait plus tran­quille à la mai­son plutôt que de ten­ter d’éduquer des élèves de plus en plus récal­ci­trants, elle avait finale­ment démis­sion­né de son poste, au grand dam de ses parents. 

Quelques semaines aupar­a­vant son amie Jeanne avait ten­té de lui ouvrir les yeux en lui con­seil­lant de se rebeller. « Tu ne peux plus accepter cette sit­u­a­tion. Ce n’est plus pos­si­ble. Il te mène une vie infer­nale. Tu ne peux même plus sor­tir libre­ment sans qu’il sur­veille tes moin­dres allées et venues et tes fréquen­ta­tions. Et le comble : tu as envie d’un enfant et il n’en veut pas ! Anne, prend une déci­sion ! ». Au début Anne s’était dit que Jeanne exagérait. Il était gen­til Hen­ri mal­gré ses sautes d’humeur. Et puis il avait rai­son : une femme devait obéir à son mari. Depuis que lui seul tra­vail­lait, c’était bien nor­mal qu’elle lui obéisse. Ça, c’est ce qu’elle s’était dit au tout début. Ce dont elle avait essayé de se per­suad­er. Mais Jeanne n’avait pas lâché l’affaire. Elle se sou­vint de sa dernière injonc­tion : « arrête tout et sauve-toi ! ». 

Elle allait avoir quar­ante ans le 3 décem­bre. Sa vie était dev­enue un enfer sur terre. Hen­ri ne savait plus quoi inven­ter pour garder la main mise sur sa femme. Il ne l’avait jamais touchée non, mais son emprise psy­chologique était dev­enue telle que chaque heure était inviv­able. Un beau jour il avait soudain décidé de lui retir­er son chéquier et sa carte bleue, sous pré­texte qu’ils fai­saient tou­jours les cours­es ensem­ble et qu’elle n’en avait pas besoin. Il usait régulière­ment de chan­tage et lui don­nait des ordres à tout va. Petit à petit il avait isolée Anne de leur famille et de leurs amis, et étrange­ment per­son­ne n’avait rien vu. Sauf Jeanne. Anne, qui avait tou­jours été une femme bat­tante et dynamique, était dev­enue réservée, timide et avait per­du toute con­fi­ance en elle. C’était comme si elle s’était éti­olée avec le temps. Quand elle racon­ta à Jeanne qu’Henri ne lui adres­sait qua­si­ment plus la parole et qu’elle cul­pa­bil­i­sait, son amie se mit dans une telle colère que Jeanne sor­tit enfin de sa tor­peur et com­mença à réalis­er dans quel enfer elle vivait. Petit à petit, remar­que après remar­que, reproche après reproche, d’insinuations en soupçons, elle réal­isa ce qu’elle était dev­enue. Et sa mai­son qu’elle avait tant aimée ne la pro­tégeait plus. Après avoir longue­ment réfléchi et con­clu qu’elle n’avait aucune échap­pa­toire, elle mit son plan à exé­cu­tion. Elle allait se sauver, à tout jamais. C’était la seule solution.

***

Mieux valait la mort que la prison. Au moins main­tenant elle était libre. Elle regar­da une dernière fois son corps écrasé plus bas et elle entra dans la lumière. Elle se sen­tit bien instan­ta­né­ment. Elle eut l’impression de flot­ter. Une sen­sa­tion d’extrême bien-être s’empara d’elle. Elle se sen­tit légère et enfin apaisée. Elle allait vivre une vie dif­férente, une vie qu’elle avait libre­ment choisie, une vie sans con­trainte et sans dom­i­na­tion. Elle soupi­ra. Tout était si calme.

Soudain elle enten­dit qu’on l’appelait : « Anne lève-toi c’est heure, que fais-tu à traî­nass­er au lit à une heure pareille ? On n’a pas idée ! » Elle fris­son­na et se recro­quevil­la en même temps qu’elle sen­tit qu’on soule­vait vio­lem­ment la cou­ette. Et quand elle réal­isa que cette voix était celle d’Henri, elle com­prit que tout cela n’était qu’un rêve et que son cauchemar allait recommencer. 

Valérie Chèze, févri­er 2021

Nou­velle pour le con­cours de nou­velles 2021 de la ville de Seil­hac en Corrèze

Retenue et pub­liée en pod­cast sur le réseau de la mairie de Seilhac

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