Originaire de Troyes, Martial Laplanche s’est installé en Russie en 2013, après un vrai coup de foudre amoureux douze ans plus tôt.
Client : Moskva Accueil
Date : mars 2022
Crédit photos : @Martial Laplanche
Je reçois Martial chez moi un soir d’octobre et aussitôt il me tend un petit paquet. Je l’ouvre et découvre avec plaisir trois boites de pâté de sa marque, Les recettes de Grand-Mère. C’est tout Martial ça ! Un mélange de gentillesse et de générosité ! Puis il s’installe et tranquillement me raconte son incroyable parcours.
« May be you remember me”,
un petit message venu de Russie
Bonjour Martial, parlez-nous de vos origines et de votre début de carrière.
Je suis originaire de Troyes dans l’Aube. Après un baccalauréat littéraire, j’ai fait une demande de bourse pour entrer dans une école de restauration d’œuvres d’art. Malheureusement, les revenus de mes parents dépassaient le seuil de 50 francs et comme je n’avais pas envie de commencer ma vie avec un crédit, je suis entré dans la vie active. J’ai travaillé dans une discothèque pendant 12 ans, éclairagiste au départ puis DJ. J’ai ensuite monté une société d’animation et organisé des soirées et des mariages. En 2012 j’ai commencé à me lasser de cette vie nocturne et j’ai acheté un bar à Troyes.
Comment avez-vous quitté la Champagne pour la Russie ?
En août 2013, j’ai reçu un message sur Messenger : « may be you remember me ». J’ai reconnu Elena, que j’avais rencontrée en 2001 en Russie. Je faisais alors partie de la chorale des Petits chanteurs de Champagne et nous étions venus à Moscou pour le Congrès International des Petits Chanteurs. Elena était chanteuse dans une chorale de Moscou et nous avions eu un coup de foudre réciproque. Nous nous étions vus trois jours en une semaine puis j’étais reparti pour la France.
Et ensuite vous vous êtes perdus de vue.
En 2001 l’Internet en était à ses balbutiements, d’ailleurs ni Elena ni moi ne l’avions à la maison. Nous nous sommes envoyés des lettres, nous avons essayé de nous téléphoner mais tout était compliqué : je vivais chez mes parents, pour faire un visa il fallait aller à Paris et la Russie était un pays fermé à cette époque. J’ai finalement continué ma vie et rencontré la mère de mon fils Louis, qui a 16 ans aujourd’hui.
Et en 2013, la Russie se rappelle à vous.
Oui, j’étais séparé de la mère de mon fils à cette époque et un vendredi, en prenant mon café avant d’aller faire une animation, j’ai ouvert Facebook et découvert ce message. Toute la journée Elena et moi nous sommes envoyés des mots, puis le soir et tout le week-end, je me suis senti oppressé. Le dimanche soir j’ai réfléchi et je me suis souvenu que je n’avais ressenti cela qu’une seule fois dans ma vie. Je me suis revu derrière la maison de mes parents en 2001, en train de me dire que je n’allais plus jamais revoir Elena. Au moment-même où j’ai identifié ce moment, ça a été une histoire de fou, la douleur a disparu, j’ai été libéré et je lui ai écrit dans la foulée. Nous nous sommes raconté vos vies 16 heures par jour, en anglais, et je lui ai posé toutes sortes de questions. À cette époque, nous étions malheureusement très mal informés sur la Russie et nous entendions beaucoup de choses négatives sur les femmes russes. Puis je lui ai dit que je l’aimais et ça a été le début de l’histoire.
Le tout premier stand
« J’ai fait le voyage pour la voir les yeux dans les yeux »
Cela parait fou en effet, quelle belle histoire ! Du coup, vous êtes parti retrouver Elena à Moscou ?
Oui, j’ai fait le voyage en septembre 2013 pour la voir les yeux dans les yeux. J’ai rencontré sa famille, visité la ville et vu s’il y avait des possibilités de travailler. J’ai tout de suite aimé Moscou, où j’ai retrouvé un anonymat, contrairement à Troyes où je connaissais tout le monde. J’ai passé tout le vol retour à pleurer en me disant que je venais de quitter la femme que j’aime, puis en novembre Elena en venue en France pendant ses vacances rencontrer ma famille (elle est directrice d’une école de musique). J’ai demandé la main à son père puis j’ai tout organisé de façon à m’installer à Moscou en janvier suivant.
Janvier 2014, vous voilà enfin en Russie. Comment votre fils l’a‑t-il vécu ?
Je suis arrivé à Moscou en janvier 2014 avec deux valises pour m’installer définitivement ici. Mon fils a vécu la séparation beaucoup mieux que moi. D’ailleurs il est venu nous voir à chaque vacance, a tout de suite adoré la ville et il vit aujourd’hui avec nous depuis maintenant plus d’un an.
Quelle est la première chose que vous avez fait en arrivant ?
En arrivant j’ai tout cassé dans l’appartement de ma belle-mère et je l’ai rénové entièrement, depuis l’électricité à la décoration. Elle était ravie. Puis j’ai fait le tour des clubs de Moscou avec des maquettes sur clef USB. Je me suis vite aperçu que les Russes ne travaillaient qu’avec des Russes et qu’ils travaillaient différemment : en France un DJ travaille toute la nuit alors qu’en Russie plusieurs se succèdent toutes les deux heures. Nous nous sommes mariés en mars puis le mois de juin est arrivé et avec lui la saison des datchas, et j’ai refait la datcha familiale entièrement !
Puis la rentrée est arrivée…
En septembre, ma belle-mère m’a trouvé du travail : monter une boite de nuit pour une Russe. En trois semaines, j’ai tout refait du sol au plafond, j’ai commandé les systèmes de son, les luminaires, fait toute la décoration et créé la charte graphique pour au final ne pas être payé entièrement. Voilà pour ma première expérience en Russie !
Quelle aventure ! Comment avez-vous rebondi après ?
Notre fille est née en décembre 2014, je me suis occupé d’elle un petit moment puis j’ai retrouvé un poste de directeur au club Kozlov fin 2015. Je gérais une trentaine de personnes, serveurs, barmen, agents de sécurité, femmes de ménage. Lors de mon premier briefing, je leur ai appris à laver une table en leur disant que j’allais contrôler tous les soirs. Quand j’ai demandé une revalorisation de salaire au bout de trois mois, mon patron a refusé ! J’avais pourtant mis en place des choses : créé une nouvelle carte avec des produits haut-de-gamme, fait rentrer M artel ainsi que Pernod-Ricard, qui nous fournissait toute la verrerie gratuitement, et réalisé une économie de 7 millions de roubles à l’année en réduisant le personnel de moitié et réorganisant selon le système des brasseries alsaciennes.
Martial, parlez-nous de ce système mis en place dans les brasseries alsaciennes ?
C’est un système tout bête : des serveurs prennent les commandes et s’occupent des boissons, et une équipe appelée « runners » apporte les plats et rapportent les assiettes sales. Cela permet de fluidifier le service.
« J’ai créé mon activité grâce à ma femme ! »
Vous avez donc quitté le club Kozlov. Martial, à quel moment vous est venue l’idée de créer votre activité actuelle ?
C’est grâce à ma femme ! Elle voulait participer à un vide-dressing avec ses copines en décembre 2016 et, en réservant leur emplacement, elle a remarqué qu’il y avait des food courts. Cette histoire de pâtés me trottait déjà dans la tête et quand je lui dis que j’allais faire du pâté, elle s’est dit « Il est devenu fou ! ».
Vous aviez déjà fait du pâté ?
Ma grand-mère et mes parents étaient restaurateurs et oui, la toute première fois que j’avais fait du pâté en Russie, c’était de la terrine de lapin au cognac. Quand les sanctions sont tombées en 2014, il n’y avait plus rien. Plus de pâté, plus de fromage. En une nuit j’ai tout préparé (je suis très actif la nuit). J’ai créé mon projet avec le logo et j’ai dit à ma femme « On y va ! ».
Et c’est là qu’a commencé l’aventure des Recettes de Grand-Mère.
Oui, j’ai commencé avec 30 000 roubles, ce qui n’est rien. J’ai fait un stock de pâté énorme et je suis parti avec mes illusions et mes statistiques de Français, en me disant : « on attend 3000 personnes, si je chope 6 pour cent de la clientèle c’est bien ». Mais cela ne marche pas comme ça. Il ne faut surtout pas calculer comme ça ! J’y suis allé, j’avais un stand assez moche, avec deux étagères de chez Leroy Merlin, un bout de tissu IKEA. J’ai fait les étiquettes, j’ai cuisiné les pâtés dans ma cuisine, acheté des baguettes chez Auchan et préparé des sandwichs baguette classique français, avec de la terrine, des rillettes et des cornichons.
Et cela a plu aux Russes ?
Eh bien non, cela ne leur a pas plu, car ici il faut de la mayonnaise, de la salade, de la tomate. Il faut de la couleur et de la vie dans un sandwich ! Je pensais que j’allais vendre des pâtés mais je n’en ai quasiment pas vendu. Ce n’était pas grave car j’étais lancé ! Je suis revenu avec un stock phénoménal, j’ai perdu de l’argent et je suis parti en France pour les vacances de Noël. Au retour, j’ai découvert La boulangerie François et j’ai préparé de nouveau des sandwichs baguette mais avec de la salade et un petit peu de déco. Sur le premier marché cela a tout de suite plu aux gens et j’ai multiplié mon investissement par quatre. J’avais aussi des petits pots en exposition, mais dans un food court, on ne peut pas vendre de la nourriture et vendre du pâté en même temps. Soit on mange, soit on achète des pâtés. C’est pourquoi j’ai commencé à faire de la soupe à l’oignon. J’en ai vendu des litres, ça marchait super bien ! Le food court c’était un bon moyen d’engranger du capital pour le réinjecter dans mon projet.
Martial, vous continuez de fabriquer votre pâté dans votre cuisine à cette époque ?
En mars 2017, mon beau-frère m’a trouvé une cuisine en sous-location puis quand la sous-location est devenue interdite en Russie, j’ai arrêté la production et je me suis concentré sur les food courts afin de financer un nouveau labo. Puis en 2018 j’ai rencontré Bernard, qui a monté La Varenne Bio. Je venais de perdre mon RVP*, et comme mon IP** était raccroché à mon VRP, je n’avais plus de société. Grâce à Bernard, j’ai ouvert mon laboratoire chez lui à 500 km de Moscou, à Kursk. Au départ c’était rigolo, j’y allais une fois par mois. Puis j’ai commencé à mener une vie de dingue. J’y allais toutes les semaines, mon entreprise a décollé mais je ne voyais plus ma famille. Mais c’était bien pratique et cela m’a permis de me relancer. Aujourd’hui, depuis plus d’un an, j’ai trouvé un laboratoire près de Moscou à Lubertsy.
« Les recettes de Grand-Mère, c’est un hommage à la mienne »
Comment avez-vous trouvé votre nom de marque et votre logo ?
Au tout début, mon logo était une toque de chef. Quand ma grand-mère est décédée en 2017, j’ai demandé à ma mère et à mes tantes leur accord pour utiliser sa photo lors du dernier rassemblement de famille. Le nom de ma société est un hommage à ma grand-mère…
C’est un très bel hommage Martial. Aujourd’hui, que vous apporte ce métier ?
Comme tous les métiers de bouche, cela me ramène à ma vie de DJ. Je suis dans ma cuisine, je prépare ma musique et le week-end je vais vendre sur les festivals et les marchés où je suis en représentation. Ce n’est pas le métier en lui-même qui me plait mais c’est de faire découvrir aux gens mes produits, leur faire goûter des nouveaux goûts. Je n’emploie plus le mot pâté car en Russie il est associé au паштет soviétique, qui n’est pas bon. J’ai donc pris les mots français terrine, rillettes et mousse.
Ces mots sont très faciles à prononcer en russe en plus.
Oui les Russes peuvent facilement les prononcer et j’ai associé les mots à la recette : la terrine qui est un pâté à base de farce, la rillette un morceau de viande cuit dans la graisse et la mousse passée au blender. Aujourd’hui je cuisine trois fois par semaine, j’ai 8 sortes de produits, actuellement vendus dans les boutiques de la Boulangerie François, sur le site de Baudcisson.ru et dans une boulangerie française d’un éco market : Comme à Paris. Et si on a envie de faire des marchés on peut en faire tous les week-ends ! Maintenant nous avons le luxe de pouvoir choisir. Nous faisons des festivals qui sont des valeurs sûres.
Quelles sont vos deux principales qualités ?
La rigueur (1 gramme c’est 1 gramme) et la patience. Il faut être passionné pour faire ce métier.
Quels sont vos projets ?
Un bébé vient d’arriver alors cela fait déjà pas mal ! Sinon, je projette de faire des plats cuisinés.
Quel conseil donneriez-vous à un Français qui voudrait s’installer en Russie ?
Il ne faut pas écouter les gens. Si je l’avais fait, je ne me serais jamais lancé. Aujourd’hui j’ai des contrats un peu partout, en Sibérie, à Sotchi, Ekaterinbourg.
Et si c’était à refaire ?
Si c’était à refaire, je ne change pas une virgule !
*RVP : permis de séjour temporaire, délivré pour une durée de trois ans, au terme de laquelle il faut demander un permis de séjour permanent, appelé VNJ.
**IP : Une « IP » en russe « Индивидуальный предприниматель » est l’équivalent d’un entrepreneur individuel ou micro-entrepreneur en France.