Interview 2 Fleur-Ève Le Foll - Le temps d'écrire

Interview Fleur-Ève Le Foll

Fleur-Ève nous racon­te son incroy­able périple au Groenland.

Client : Fleur-Ève Le Foll

Date : mars 2020

Première Française à avoir parcouru 200 km du Circle Arctic Trail à vélo en hiver au Groenland, 

Fleur-Ève raconte son incroyable périple !


Du 4 au 14 mars 2020, Fleur-Ève et ses neuf coéquipières* ont réussi à relier en fat bike le Mont Russell à la ville de Sisimuit sur la côte Ouest, au Groenland. 

Après nous avoir raconté sa préparation lors d’une première interview, Fleur-Ève nous livre ses premiers mots sur cette aventure hors du commun.

« Nous étions dans une bulle d’émerveillement »

Fleur-Ève tout d’abord bravo pour cet exploit ! La première chose que j’ai envie de vous demander c’est comment allez-vous ?

Merci. Je vais très bien ! De retour avec ma mascotte Roulotchka et ma montre polaire 24h Raketa qui n’a pas pris une minute de retard. 

Revenons au premier jour, au départ. Quel est votre sentiment en quittant Moscou et en atterrissant à Copenhague, la première halte ?

En quittant Moscou, je suis dans l’expectative avec une pointe d’anxiété. Lorsque je retrouve mes coéquipières à l’hôtel de Copenhague, une incroyable énergie se dégage. C’est l’excitation qui prend le dessus. 

Vous posez le pied à l’aéroport de Kangerlussuaq au Groenland. Comment se passe cette première journée ?

Nous nous réveillons à 5h50 heure de Copenhague et arrivons à Kangerlussuaq à l’heure du déjeuner après un vol de 4h40. Aujourd’hui commence notre périple à vélo avec une étape de 26 km mais tout d’abord chacune défile avec ses couches, sous couches et sur couches pour demander conseil. Nous récupérons nos vélos, réglons nos selles, j’installe Roulotchka sur mon guidon, la mascotte des élèves de CP. La température avoisine les – 35 °C. L’arête du nez et les pommettes piquent. Nous montons dans un bus pour une heure de trajet. C’est là, le regard flottant, que je découvre le glacier à l’horizon grâce à… mes lunettes de glacier dont les verres font davantage ressortir le bleu de la glace. Premier émerveillement. Ce glacier n’a pas une forme parfaite, il n’est pas net, pas carré, il n’est d’aucune forme géométrique. Il porte au contraire de nombreuses cicatrices, failles, fractures, rigoles, signes visibles de son ancienneté et des agressions du temps qui passe. Nous arrivons enfin au pied du glacier et l’expédition commence. 

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Et là vous commencez à donner le premier coup de pédale.

Ahah oui et je reste sur place à mon premier coup de pédale. Je patine dans la neige ! Un seul pédalier, onze vitesses, je change de rapport, prends mon élan, bascule de gauche à droite tel un enfant qui apprend à faire du vélo puis enfin, commence à rouler. Il y avait pas mal de neige fraîche à cet endroit. Nous nous arrêtons peu car il fait froid. À — 36 °C, c’est compliqué. La nuit tombe, nous passons les deux dernières heures à rouler de nuit. Nous sommes sur la route, éloignées des unes des autres car il n’y a aucun risque de se perdre. À un moment je me retrouve sans personne ni devant ni derrière et sans aucune lumière (ni phare, ni frontale). Je suis juste éclairée par la pleine lune. Le bleu particulier du ciel se confond avec le bleu particulier de la neige, les bouts de rochers se détachent. C’est magique et là je réalise que c’est pour ce type de moment que je me suis engagée dans cette expédition

« Je pédale sur mon vélo, toute seule, de nuit, 

le paysage tout juste éclairé par la pleine lune » 

C’est un sentiment angoissant ou plutôt apaisant ?

Au début je suis plutôt concentrée, limite crispée sur mon vélo. Il y a peu de neige sur la route mais elle est verglacée. Ayant heurté un caillou sur le bas-côté, je me prends d’ailleurs une grosse gamelle dans une descente. Pas de mal mais je suis d’autant plus vigilante pour la suite. Au fil des kilomètres, je me laisse progressivement aller. Ce n’est pas angoissant ce jour-là car je sais que la ville n’est pas loin. Quelques jours plus tard, je ressentirai un subtil mélange d’angoisse et d’apaisement. Se retrouver à 100 km de toute âme qui vive, dans l’immensité procure un sentiment très fort. Cette première journée nous roulons jusqu’à 20 h (minuit heure de Copenhague). La journée a été longue, nous sommes vannées. Et ce sont 60 km qui nous attendent le lendemain, et non plus sur la route. 

Avez-vous souffert du froid ?

Au départ il fait — 36 °C et plus nous nous rapprochons de la côte, plus les températures s’adoucissent. À l’arrivée à Sisimuit il fait — 17 °C mais ce n’est pas forcément agréable car il y a plus d’humidité. À chaque arrêt nous avons pour consigne de vérifier l’état de la peau du visage des unes et des autres pour anticiper les engelures éventuelles, et de nous manifester dès la première sensation de froid. Chaque jour je mets plusieurs couches de cold cream sur les mains, le visage et les lèvres. À chaque arrêt nous buvons du thé chaud. Au moment de traverser une rivière, ma jambe droite est littéralement passée à travers la glace. Pantalon, chausson et chaussette trempés, j’ai pu terminer la journée grâce à l’isolation exceptionnelle de mon chausson qui a su réchauffer l’eau. À l’arrivée mon bas de pantalon avait gelé mais mon pied droit était toujours au chaud. Tout est dans la préparation et le choix du matériel, ce que j’avais organisé sérieusement, notamment grâce à mon équipementier Sport-Marafon et la communauté pleine d’expertises Guidon Givré

Fleur-Ève racontez-nous la suite de l’expédition.

Nous devons parfois descendre de vélo pour monter les côtes les plus raides. Nous nous arrêtons en moyenne tous les 10 km pour du thé et une barre de céréales. Trois hommes nous accompagnent : Paul, notre guide et deux Groenlandais, Bô et Krister. De vrais professionnels, ils sont aussi d’un grand réconfort. Leur seul objectif est de nous ramener saines et sauves. Paul nous rappelle à chaque arrêt « goggle up, jacket on », « masque levé et enfilez votre doudoune ». Dégageant pas mal de la chaleur, je portais une première peau, une deuxième couche en mérinos, une veste polaire et pour finir un coupe-vent Gore Tex. Paul nous rappelle aussi régulièrement que dans un tel environnement, un tout petit problème peut rapidement devenir un très gros problème. 

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« Je pédale, je n’ai qu’à vivre le moment présent. »

Pouvez-vous quand même profiter un peu du paysage ?

Rouler dans la neige et sur la glace requiert de la concentration. Parfois on lève le nez du guidon pour regarder à droite à gauche malgré notre position du fat bike qui ne privilégie pas vraiment le tourisme type Harley Davidson. Sandra s’arrête aussi de temps en temps pour faire tourner son drone depuis la voiture sur chenilles qui nous suit. Ses photos et vidéos, bien que sublimes, ne reflètent pas vraiment la réalité quotidienne de notre expédition mais seulement la beauté des paysages dans lesquels nous avons eu la chance de rouler. D’une certaine façon, c’est une fois l’expédition terminée que je redécouvre cet environnement à couper le souffle. 

Avez-vous vécu un moment clef durant votre périple ? 

Au début du deuxième jour, je me rends compte que nous avons mis une heure trente à parcourir 10 km. S’il m’en reste 50, c’est que cela va nous prendre près de 10 heures. 10 heures, cela me parait beaucoup, cela me parait même trop. C’est à ce moment-là que je décide d’arrêter de calculer et d’anticiper. Je me concentre sur le présent, sur les coups de pédale, sur le paysage et sur le privilège que j’ai de vivre de tels moments. Je vis le moment présent et cela devient d’ailleurs de plus en plus agréable d’avoir une partie de mon cerveau en pause. Je profite de l’instant, je m’émerveille, je positive, je ris beaucoup, je ressens, et deviens experte dans l’analyse des différentes textures de neige. Moi qui dans mon quotidien suis plutôt du style à mener de front plusieurs projets à la fois, tambour battant… 

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Cela doit être très difficile de rouler sur la neige et la glace.

La consistance de la neige est notre préoccupation de chaque seconde. Comment orienter mon pneu avant pour ne pas être déséquilibrée et poser pied à terre ou même tomber ? Comment trouver le revêtement qui requiert le moins de résistance et me permet de fournir le moins d’efforts ? Nous avons eu des dénivelés positifs de l’ordre de 700 mètres par jour et gravi des monts de 450 mètres. Dans l’absolu ce n’est pas énorme. Mais avec un sac à dos de 6 kg, un vélo de 15 kg qui glisse dans la neige et le froid qui ne facilite pas la respiration, c’est une autre histoire. 

Parfois je fais un pas dans la montée puis je glisse sur 5 cm. Mon pneu avant lui aussi glisse sur le côté, je donne des coups de pieds dans la montagne pour faire des traces. J’essaie différentes techniques comme pousser sur le vélo, appuyer sur les deux freins et monter les pas en escalier, comme à skis, à savoir non pas face à la pente mais de côté. C’est un combat permanent, il ne faut rien lâcher. Chaque centimètre gagné est une victoire. Chaque reculade remet en question toute une stratégie de progression. Il faut recommencer, imaginer de nouvelles techniques. Rien n’est acquis. Cette pente est une aventure entrepreneuriale à elle seule. Wait ! Je recommence. Je vais y arriver ! J’y arrive ! La pente est vaincue, mais ce n’est pas fini. Retour sur la selle. En avant Simone. Me voilà repartie.

« Nous prenons soin des unes des autres » 

Quelle est l’ambiance dans le groupe de filles ?

Chris­tine, qui a pré­paré notre expédi­tion dans le cadre de HER Plan­et Earth, nous dit que c’est son expédi­tion la plus physique jusqu’à présent. L’ambiance entre nous est vrai­ment très bonne. On s’échange des affaires, des habits, par­fois mal­gré nous dans le joyeux souk de la hutte. Après une étape dif­fi­cile, quand on voit que l’une ou l’autre est un peu der­rière ce jour-là ou qu’elle ne par­le pas trop, alors c’est un petit geste qui fera la dif­férence : un sourire, une tape sur l’épaule ou la propo­si­tion de partager un bon­bon de caféine suf­fit. Tous ces petits gestes font que nous nous com­prenons. Nous sommes dans une sit­u­a­tion égale en ter­mes d’humeur et de fatigue. Je crois aus­si que cha­cune a su pren­dre sur elle tout en préser­vant les autres de ses éventuelles sautes d’humeur. Et puis quand Patri­cia scan­de un « Come on, let’s go Bitch­es ! », com­ment ne pas y retourn­er le sourire aux lèvres ? 

Com­ment se passent vos nuits, dans la hutte ou sous la tente ?

Nous dor­mons la majorité du temps dans des huttes, sauf une nuit où nous avons dor­mi San­dra, Vic­to­ria et moi-même sous la tente, par – 26 °C. Claire­ment nous avons eu très très froid et n’avons pas vrai­ment fer­mé l’œil. Nous pen­sions à tort que la tente serait un peu chauf­fée. Je n’avais pas pris de chauf­fer­ette. À 4 heures du matin, n’y ten­ant plus, nous nous sommes ren­dues dans la cabane où les autres dor­maient. De retour sous la tente, Bô nous a instal­lé un petit chauffage et nous avons pu dormir les quelques heures qui nous restaient. Le givre qui s’était instal­lé sur la paroi intérieure de la tente s’est mis à fon­dre et gout­ter sur moi à mon réveil, un délice. 

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« Je n’avais jamais visualisé l’arrivée comme une fin en soi » 

Puis vient la dernière journée et l’arrivée à Sisimuit.

La dernière journée est physiquement très difficile. Nous tombons encore plus souvent, la température augmentant, la neige s’est ramollie. Le ciel est gris, la visibilité est très limitée. On ne voit rien. Autant la veille nous avions pris beaucoup de plaisir à surfer dans les descentes (les fesses derrière la selle) aujourd’hui c’est la journée « Whatever » comme le dit si justement Sandra. À l’arrivée à Sisimuit, mon premier réflexe est de faire un high five à Bô. Ensuite c’est un gros moment d’émotion auquel je ne m’attendais pas. Nous sommes soulagées, nous l’avons fait ! Nous sommes heureuses, dans les bras les unes des autres, avec parfois quelques larmes qui coulent. C’est étonnant car je suis émue. Clairement je libère une certaine tension mais je réalise que je n’avais jamais vraiment visualisé l’arrivée comme une fin en soi. 

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Vous partez donc ensuite à l’hôtel pour vous reposer.

Oui nous rejoignons l’hôtel, prenons notre première douche en six jours et trinquons toutes ensemble. C’est en prenant cette première douche que je découvre mes bleus. Je me suis pourtant changée et j’ai mis en pyjama tous les jours – un bon Damart — mais je n’avais jamais vu ces bleus avant : des coups de pédales sur les mollets, des coups de selle sur les fesses. Quelques bobos mais personne n’a été gravement blessé. Nous avons à présent deux jours à Sisimuit pour profiter. Nous avions en effet deux jours tampon dans notre planning en cas de tempête éventuelle. 

Et là, à l’hôtel, vous reprenez contact avec votre famille. 

Au moment où j’active la connexion wifi sur mon téléphone, que j’avais choisi de laisser au fond de mon sac, je vois environ 500 messages WhatsApp arriver.  Ce moment est assez brutal car je veux simplement m’assurer que ma famille va bien et là, je vois au milieu des notifications qui se chargent et qui défilent très vite que mon mari et mes enfants sont confinés. J’appelle mon mari, lui dis rapidement que tout va bien, que nous l’avons fait et que nous sommes contentes. Lui me raconte longuement leur retour de France, leur confinement, l’organisation mise en place avec les contraintes que cela impose, les sautes d’humeur, les axes d’optimisation et quand il arrive au sujet de l’effondrement des cours de bourse, je l’interromps. J’avoue que le retour à cette forme de réalité est assez brutal pour moi. À ce moment précis, je lui confie avoir juste envie, très égoïstement je l’admets, d’être rassurée sur le fait que toute ma famille se porte bien en mode « Oui/ Non » et de préserver encore un peu cette sérénité et insouciance engrangée ces derniers jours. Il rigole. Nous étions confinées dans une bulle d’émerveillement, sans autre choix que celui de pédaler. J’avais aussi très envie d’écrire un mot à la communauté Guidon Givré (j’ai d’ailleurs beaucoup pensé à certaines sur mon vélo). Cela a dû me prendre 10 minutes pour écrire 30 mots et que je trouvais d’une banalité infinie. Au final j’ai platement fait un copier/ coller du post de Christine. 

Fleur-Ève, quel est votre sentiment, après ces deux jours passés à Moscou, confinée vous aussi dans votre appartement ?

Avant de partir je me disais que j’étais quelqu’un d’ordinaire qui allait faire quelque chose qui sortait un peu de l’ordinaire. Je ressentais une pointe d’appréhension. Durant l’expédition il y a quelques moments où je me suis demandée comment nous allions y arriver. Et puis finalement, on y arrive, pas à pas, on y arrive. J’ai réalisé être capable de bien plus que ce que je pensais. J’ai aussi réalisé que mon cerveau était capable de s’adapter aux situations, et même parfois malgré moi. Il y a certainement un sens dans le fait de ne voir mes bleus qu’une fois l’expédition terminée. À la fin à Sisimuit, je suis fière de moi. Je l’ai fait et suivant les règles que je m’étais imposées. Il était par exemple impensable que je range mon vélo et monte dans la voiture de mon propre chef en raison d’un ras-le-bol. J’avais aussi décidé de beaucoup rire et de m’émerveiller souvent. Ce qui a été le cas. À présent, de retour à Moscou, je commence presque à me dire que finalement, si je l’ai fait, c’est que cela ne devait pas être si difficile. Depuis mon retour je suis à peine sur les réseaux sociaux et j’ai dû appeler deux ou trois personnes pour échanger de vive voix. C’est maintenant vraiment chouette d’avoir le retour sur ce que l’on a fait et ressenti, de pouvoir échanger, partager. C’est aussi dans le regard et les mots de ma famille et de mes amis que je réalise ce que nous avons accompli

Un grand merci Fleur-Ève ! Et maintenant qu’allez-vous faire ?

Mon prochain objectif est de profiter de ma famille, communiquer sur le réchauffement climatique et donner vie à mon idée de start-up. Et pourquoi pas lancer l’idée d’une expédition dans le Grand Nord de la Russie ? Ou retourner au Groenland pour cette fois prendre des photos des glaciers et du temps qui passe ? 

*Katrine Fri­is Olsen, San­dra Lim, Vic­to­ria Great, Lore­to Rin­con, Shar­lyn Stafford, Fleur-Ève Le Foll, Patri­cia Jones, Judith Von Prockl, Fan­ny Lecar­pen­tier and Chris­tine Amour-Levar

 Plus précisément, Fleur-Ève Le Foll et Fanny Lecarpentier sont les premières françaises à avoir parcouru ensemble ces 200 km du Circle Arctic Trail. 

Interview 2 Fleur-Ève Le Foll - Le temps d'écrire
Interview 2 Fleur-Ève Le Foll - Le temps d'écrire

Interview menée et rédigée par Valérie Chèze, Le temps d’écrire, mars 2020

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