À cette époque-là les menus de baptême ou de communion rivalisaient de longueur et les entrées s’enchainaient suivies par des multitudes de plats de résistance et des farandoles de desserts, le tout entrecoupé de trous normands et de pousses-cafés qui en avaient vaincu plus d’un, que nous trouvions sommeillant sur leur chaise ou bien allongés dans l’herbe grasse, ronflant comme des sonneurs que l’alcool avait assommés.
Ma grand-mère justement avait passé deux jours à cuisiner, allant et venant entre sa cuisine et la gazinière de son garage qui cuisait bien mieux certains plats disait-elle.
Nous commencions l’apéritif avec des gougères, vous savez ces petits choux au gruyère croustillant qui, si vous n’enlevez pas la casserole du feu à un moment précis, ne gonflent jamais. Les siens étaient magnifiques, dorés à souhait et croustillants sous le palais. Elle les accompagnait généralement de champagne, « tu comprends c’est jour de fête aujourd’hui et ils diraient quoi mes beaux-frères si je leur servais un modeste vin cuit ». « Oui Mamie, va pour le champagne ! » Et ma grand-mère allait chercher ses coupes ou bien ses flûtes selon son humeur, qu’elle posait délicatement sur le napperon, qu’elle avait crocheté elle-même, d’un joli plateau miroir.
Une fois passés à table, le festival commençait ! Des assiettes arrivaient, apportées par ma mère, qui depuis quelques temps avait bien tenté de raisonner ma grand-mère en lui demandant de cuisiner moins, mais cela n’avait servi à rien. Mamie était têtue et persistait dans son abondante générosité culinaire. Souvent, nous voyions venir à nous une belle assiette en porcelaine de Limoges où trônait une gigantesque part de foie gras, accompagnée de truffes (depuis une compotée d’oignon a remplacé ladite truffe) et de salade croquante. Un vin blanc l’accompagnait, souvent un Sauternes dont la robe d’une jaune profond me faisait fort envie mais m’était interdit. Les conversations allaient bon train. Du pain trônait dans les corbeilles, du bon pain de campagne coupé dans des grosses tourtes toutes fraiches revenues du boulanger d’en bas de la côte (j’avais le privilège d’aller le chercher et avec la menue monnaie je m’achetais toujours un roudoudou que je suçais tout le long du chemin du retour).
Un poisson suivait, accompagné de tomates et sauce mayonnaise que ma grand-mère montait toujours à la main, avec le coup de poignet ancestral qui avait traversé les générations des femmes de notre famille. Un autre vin blanc suivait, plutôt sec et les esprits commençaient à s’échauffer. Les conversations se faisaient plus rapides et les débats plus vifs. On y discutait politique, du bout du tunnel de Raymond Barre que l’on ne verrait finalement jamais ou bien de Valéry Giscard d’Estaing en campagne.
Après ces deux entrées, je n’avais déjà plus faim et je ne rêvais que d’une chose, aller jouer dehors avec mes cousins. Mais un vol au vent arrivait et avec lui d’autres promesses d’indigestion. « Et si nous en finissions là » me disais-je ? Mais non, un trou normand s’imposait ! Ma grand-mère arrivait avec sa bouteille de gnole de prune ou de poire, c’était selon. Petit intermède pour reposer les estomacs disait-on. Avec la pause cigarette qui l’accompagnait. Mon père en fumait de temps en temps et je me souviens qu’alors je le trouvais beau mon papa, quand il fumait, souriant de ce large sourire un peu en coin qui me manque tant aujourd’hui. Et il sentait si bon : j’adorais aller l’embrasser et humer ce parfum d’Eau Sauvage se mêlant à la nicotine.
La fête reprenait de plus belle et un rôti de bœuf arrivait, assorti de ses pommes de terre rôties et de ses haricots blancs que l’on nommait fayots dans ma campagne. Rôti de bœuf cuit à souhait, bien moelleux et tendre, des pommes de terre dorées et fondantes, et lesdits fayots cuisinés avec des carottes et du vin blanc, bref, un délice, mes jeux de plein air attendraient !
Venait ensuite un moment que je n’aurais manqué pour rien au monde, l’arrivée tant attendue du plateau de fromages et de sa salade verte. Des fromages étaient délicatement posés sur un plateau en verre, le couteau assorti posé sur sa tranche. Je m’arrangeais toujours pour me servir parmi les premiers — je n’étais pas « dessert » à l’époque. Je succombais au moelleux d’un munster que j’accompagnais de graines de cumin, à la force d’un roquefort qui fondait sur ma tranche de pain de campagne, au goût corsé d’un Saint-Nectaire, fermier forcément ou bien encore d’un comté, dix-huit mois évidemment !
La fin du repas n’était qu’enchainements de tartes et de gâteaux, des tartes aux fruits à la pâte levée, souvent garnie d’une crème pâtissière, un baba au rhum avec sa crème dont mon père était baba même s’il aimait dire qu’il était très tarte ! Ces desserts-là ne m’inspiraient rien alors et ma grand-mère le savait. Elle avait préparé en plus pour son unique petite fille une tarte aux pommes dont je garde encore le goût : une pâte brisée à la couleur des blés, nappée d’une compote de pommes maison recouverte de fines tranches de Sainte Germaine, une espèce bientôt en voie de disparition. Cela reste encore l’un de mes desserts préférés !
Enfin le café s’annonçait et il sonnait le glas de notre libération ! Mes cousins et moi étions sauvés, nous allions enfin pouvoir sortir jouer dans le jardin. Il était bientôt dix-sept heures et le dimanche allait bientôt s’achever, un dimanche de mon enfance comme je les aimais.
Valérie Chèze, mai 2020
Oui, je prends rendez-vous car je veux en savoir un peu plus
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