Cette année-là le cours de leurs vies avait pris un chemin singulier. Les jours s’étaient enchaînés depuis janvier, tristes et pluvieux. La pluie cognait inlassablement sur les carreaux, le froid s’infiltrait dans les maisons et quand la fin du mois d’août arriva ils n’avaient pas vu un seul rayon de soleil percer depuis des mois. Un jour d’accalmie, en s’aventurant un peu à l’écart de la ville, Sol le vit. Immense, et gris, il semblait toucher le ciel. Elle tenta de le contourner mais son ombre se projetait à perte de vue. Elle comprit alors qu’il était la cause de toutes ces heures sombres et de tous leurs tourments à venir. Elle avait entendu ses parents chuchoter dans le noir, inquiets à l’idée qu’IL mette son plan à exécution. Finalement rien ni personne n’avait pu l’en dissuader et IL les avait enfermés à jamais, dans l’hiver et la pluie, dans l’obscurité et la suie. Il semblait n’y avoir aucune échappatoire. Lisa longea la paroi, espérant découvrir une percée, mais pas après pas sa forme grise la dominait toujours. Il se mit à faire de plus en plus nuit et elle décida de rentrer. Elle reviendrait le lendemain avec sa petite sœur Ilona qui, depuis que les jours se ressemblaient, était rentrée dans une torpeur qui ne l’avait plus quittée.
Après une nuit d’orage et malgré la pénombre, elles sortirent sur les trottoirs détrempés et quand elles arrivèrent au pied du monstre de béton, en levant la tête vers le ciel, ce qu’elles virent les laissa sans voix. On aurait dit que Soulages avait rencontré Rothko. Du côté des fillettes, on distinguait des dégradés de noirs. Charbon, jais, encre, fumée ou carbone, ils se mêlaient pour former un ciel chargé. À l’aplomb de l’arête du géant, une fine ligne de dégradés de gris, anthracite tout d’abord puis ardoise, acier et enfin perle, laissait place à une explosion de rouges. Puis elles virent une échelle à quelques mètres et se mirent à courir. Sol monta la première, suivie par Ilona dont les yeux brillaient de joie. Elles grimpèrent doucement, en prenant garde de ne pas tomber. Quand Sol parvint au sommet, elle aida sa sœur à la rejoindre. Les couleurs du ciel les émerveillèrent : des rouges grenadines laissaient place à du corail qui, avec des traînées de vermillon et de garance, se transformait en un rouge feu à horizon. Elles penchèrent alors leurs visages et la virent en contrebas, plus belle et plus indomptable que jamais, la mer, à perte de vue. Bleu nuit tout près d’elles, elle prenait des teintes plus claires, passant du saphir à l’azur dans le lointain. Sol se tourna vers sa sœur et en la regardant droit dans les yeux lui dit : « ne rate jamais le dernier jour de l’été, promets-le-moi ». Elle venait de comprendre qu’elles seraient emmurées à jamais et que leur salut viendrait de ce moment magique, qu’il leur faudrait revivre chaque année pour ne pas se laisser engloutir par la noirceur de leur vie à venir.
Valérie Chèze, novembre 2020
Oui, je prends rendez-vous car je veux en savoir un peu plus
Une première rencontre en visioconférence pour faire connaissance
et évaluer vos besoins.
Le temps d’un clic et j’écris pour vous !