Elle s’appelait Marie-Jeanne. Sportive et séduisante, elle était mariée à Tristan, un homme charmant, et apparemment heureuse en ménage. Ce matin-là avait pourtant plutôt bien commencé. Nous étions un samedi, à la fin du mois de juin et la France semblait un peu revivre après le confinement qui l’avait plongée dans un état de sidération. Le 30 mars dernier, un journaliste avait annoncé à la radio que 2,63 milliards de gens étaient confinés sur terre. C’était une expérience inédite et extraordinaire au sens littéral et devant une telle nouveauté, tous avaient dû apprendre à vivre cloîtrés, dans leurs appartements, leurs maisons, avec ou sans balcons, terrasses ou autres jardins. Mais tout était maintenant terminé, la vie semblait reprendre petit à petit.
Ils avaient pris leur petit-déjeuner sur la table de jardin dans leur joli patio. Marie-Jeanne avait mis une nappe jaune, disposé les tasses en porcelaine, fait griller des toasts et apporté beurre et confiture. Leur fils unique étant parti au bord de la mer avec sa bande de copains, elle avait déjeuné avec son mari. Ils avaient, comme à leur habitude, échangé sur leur vie, sur leur journée à venir, sur l’état du monde. Marie-Jeanne projetait de se rendre au marché de la ville, plus tard dans la matinée. À la fin du repas, quand ils eurent débarrassé la table, elle plia la nappe et sortit la secouer. Son mari entendit la porte se fermer une première fois – cette satanée porte ne restait jamais ouverte et se refermait toujours à chaque passage – mais il ne l’entendit jamais claquer de nouveau. Intrigué – il venait de poser une question à son épouse, restée sans réponse – il sortit, ne la vit pas, fit alors le tour de la maison puis monta dans les étages, redescendant, remontant de nouveau. Marie-Jeanne restait introuvable.
C’était tout de même extraordinaire ! Elle ne partait jamais sans l’avoir prévenu. Il y avait même un tableau dans la cuisine où les membres de la maisonnée inscrivaient à la craie des petits mots pour les uns et les autres. Marie-Jeanne y écrivait régulièrement quand elle partait courir pour prévenir son fils. Ce matin le tableau était vierge. Son mari s’assit dans le fauteuil du salon et réfléchit : où pouvait-elle bien être allée ? Elle sortit secouer la nappe et on ne la revit jamais, songea-t-il. Ce serait un très bon début de livre. Il est vrai qu’à ses heures perdues Tristan écrivait. Il rédigeait des petits textes et avait même commencé un roman mais il ne parvenait pas à le poursuivre.
Depuis quelques mois ils avaient tous les deux décidé de changer de vie. Lui s’était formé à l’hypnose et elle au massage ayurvédique. Infirmiers de métier tous les deux, ils avaient soudain eu besoin de nouveauté. C’était sans doute lié à l’âge. Ils avaient dépassé la cinquantaine et se trouver de nouveaux buts, de nouveaux challenges, de nouveaux horizons était sans doute un moyen de redonner du dynamisme à leurs journées, de rompre une routine devenue pesante depuis quelques temps et tout simplement de continuer de vivre le plus intensément possible. Ils étaient tous les deux dans la même mouvance, pensant qu’il fallait trouver sa place, sans attendre qu’on nous la donne, chacun étant responsable de sa vie et de son bonheur. Tristan disait souvent à ses amis qu’il n’est jamais trop tard pour exhumer le trésor enfoui en chacun et ainsi aller à la rencontre de soi-même. L’âge l’avait rendu sage, lui qui se sentait pourtant si incertain, si peu sûr de lui et inquiet parfois. Ses amis le voyaient pourtant comme un homme fort, qui savait où il voulait aller et qui s’entourait de gens dotés de la même belle énergie. Et Marie-Jeanne en faisait partie. Forte, déterminée et professionnelle, ses supérieurs lui vouaient une confiance totale. Et l’assurance que Tristan pensait manquer était l’une des qualités de sa femme. Mais pas une assurance hautaine et supérieure non. Une assurance tout en douceur. Parler à Marie-Jeanne rassurait. Elle trouvait toujours les mots justes pour conseiller, savait donner des idées, était source de bienveillance permanente. Si l’amitié et la confiance avaient un visage, c’est celui de Marie-Jeanne qui se dessinerait. Devenir son ami était un merveilleux cadeau de la vie. Et son amour un don du ciel…
Tristan en était là de ses pensées quand il entendit la porte s’ouvrir. Il regarda sa montre, il était bientôt dix heures.
- Tristan tu es là ?
C’était la voix claire et gaie de Marie-Jeanne. Il bondit de son fauteuil et courut jusqu’à la cuisine. Elle était là, souriante et les joues un peu rosies.
- Mais où étais-tu passée ?
- Pourquoi il est quelle heure ?
- Cela fait deux heures que je te cherche et que je t’attends !
- Deux heures ? C’est fou. Je n’ai pas vu passer le temps finalement…
- Mais qu’as-tu fait tout ce temps-là ? Tu préviens d’habitude !
- Figure-toi qu’une fois avoir secoué la nappe, j’ai réalisé que je n’avais plus ma bague. Tu sais, celle que tu m’as offerte pour mes cinquante ans. J’ai cherché, cherché longtemps, j’ai fouillé tous les recoins, marché dans toute la rue. J’ai paniqué, je n’osais plus rentrer sans l’avoir retrouvée. J’en ai même perdu la notion de l’heure. Et soudain je me suis rappelée avoir entendu un léger cliquetis au moment où j’ai fait voler la nappe. Une bague tombant sur le sol ne fait pas ce genre de son. Il fallait que je cherche ailleurs. Mes yeux se sont portés sur le cache-pot que j’avais posé hier sur le rebord de la fenêtre, pensant acheter une plante. Eh bien figure-toi que la bague était là ! Et me voilà !
Tristan enlaça tendrement sa femme et se dit qu’elle lui avait donné un bien joli cadeau ce matin-là : elle sortit secouer la nappe et on ne la revit jamais. Enfin il le tenait son début de roman !
Valérie Chèze, juillet 2020
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